Eau de Javel
Date : 12 juillet 2025
J’ai du mal avec Les Contes de Terremer. Pourquoi ? Parce que malgré sa grande beauté graphique et musicale, malgré son univers marquant, et au-delà de son scénario au format post-it, il a perpétué la tradition de blanchissement des personnages de l’œuvre d’Ursula Le Guin.
Remise en contexte
Terremer, c’est une série d’histoires courtes et de romans, écrite par l’américaine Ursula Le Guin, sortis entre 1964 et 2018, l’année de sa mort. Terremer, c’est le boss caché de la fantasy. Je ne vais même pas essayer de la présenter ici : si vous n’avez pas encore lu cette série, faites-moi plaisir en fonçant immédiatement vers la librairie la plus proche. Défoncez la vitrine, mordez les clients, et menacez de vous transformer en dragon et de tout cramer, jusqu’à ce qu’on vous apporte l’intégrale de la série.
Le film Ghibli, lui, est sorti en 2006. Notez qu’après 2006 ne parurent que deux histoires courtes.
Je vous épargne l’histoire déjà racontée par
Buta Connection
de la genèse du film, le passage de la responsabilité de Hayao à Gorō, et du résultat qui divise.
Que ce soit clair : le film a de grandes qualités, mais aujourd’hui je suis là pour me plaindre d’un sujet précis : la couleur de peau
des personnages.
Lamentation
Dans sa préface à l’intégrale de Terremer, Ursula Le Guin se lamente en parlant de certaines illustrations de ses romans :
Quant à la peau cuivrée, brune ou noire, vous pouvez oublier ! Terremer était récurée à l’eau de Javel.
Bah oui, c’est connu pourtant : dans le monde de Terremer, l’immense majorité des personnages ne sont pas blancs. Hélas, et malgré quelques éditions bien illustrées, la majorité des représentations graphiques de Terremer n’ont aucun rapport avec le contenu des livres. Les Contes de Terremer de Ghibli perpétue la tradition. Ursula Le Guin critiquera, mais timidement, ce blanchissement.
On me dit que l’audience Japonaise les voit différemment. On me dit qu’elle peut voir Ged comme plus sombre que ce que mes yeux voient. Je l’espère. La plupart des personnages me semblent blancs, mais il y a au moins une bonne variation de bronzé et de beige. Et les cheveux clairs et les yeux bleus de Tenar sont corrects, puisqu’elle représente une minorité issue des îles Kargues.
— Le Guin dans sa réponse au film, traduction par Scirocco
Mais pas question d’être gentil, j’adore râler. Allez, on fait la liste des personnages communs aux livres et au film ! Par ordre d’apparition dans le film.
Ged (Épervier)
Ged s’en sort plutôt pas mal… Mais ça aurait pu être mieux.
Au-dessus des plis de son capuchon rabattu, son visage était bistre, avec un nez de rapace et une joue balafrée de vieilles cicatrices. Ses yeux brillaient d’un éclat farouche.
— L’Ultime Rivage, traduit par Philippe R. Hupp, Françoise Maillet et Patrick Dusoulier

Lebannen (Arren)
Blanc comme un cul et gothique à ses heures perdues. Meuh non, les gothiques noirs ça n’existe pas !
Presque un homme, il avait cependant encore l’allure d’un adolescent ; svelte, richement vêtu, son visage aurait pu être moulé dans du bronze doré, tant il était fin et paisible.
— L’Ultime Rivage, traduit par Philippe R. Hupp, Françoise Maillet et Patrick Dusoulier

Tehanu (Therru)
Étant de Gont comme Ged, il est logique qu’elle ait une couleur de peau similaire. On peut rêver…! Et oui, sa brûlure est censée l’avoir défigurée. Mais une héroïne défigurée, c’était impensable.
Elle était jeune ; la moitié gauche de son visage était lisse et rose comme le cuivre, avec un œil brillant sous un sourcil arqué. La moitié droite avait été ravagée et n’était plus qu’une cicatrice striée, dépourvue d’œil. Sa main droite ressemblait à une griffe de corbeau.
— Le Vent d’ailleurs, traduit par Patrick Dusoulier

Tenar
Seule exception, Tenar est un des rares personnages blancs de la série. J’en profite pour quand même râler en disant que tous les
personnages secondaires, qui sont originaux, sont blancs.
Certains disent que la couleur des cheveux a de l’importance : certes, Tenar a des cheveux blond vénitien, et les autres
ont des cheveux sombres. Gardons aussi en tête que le film est japonais, et que les cheveux clairs sont plus rares au Japon.
Mais je n’irai pas jusqu’à dire que Tenar paraît « plus blanche » que Tehanu.
Elle portait donc un nom étranger, mais Silex l’avait rebaptisée Goha, d’après une petite araignée blanche répandue à Gont. Cela lui allait assez bien : outre qu’elle était menue et avait la peau blanche, c’était une bonne tisseuse de laine de mouton et de poils de chèvres.
— Tehanu, traduit par Isabelle Delord-Philippe
